La tentative de Pierre Bordage dans le domaine du roman-feuilleton, où seuls se sont risqués (récemment) Stephen King et John Saul, pour des résultats assez mitigés, a eu de quoi surprendre. On ne peut que féliciter l’initiative des éditions J’ai Lu, qui ont permis à un auteur français de se lancer sur ce créneau.
Si le résultat est encore une fois mitigé, ces Derniers Hommes sont globalement supérieurs aux feuilletons des deux  » terroristes  » anglo-saxons. Deuxième risque, l’auteur tente pour la millème fois dans le domaine de la SF de prédire un futur post-troisième guerre mondiale… Cela dit, à y regarder de plus près, Bordage n’a pas vraiment décrit ce monde, et c’est un reproche que l’on peut adresser aux premiers épisodes. Troisième risque, et non le moindre, il s’agit là de la énième fiction inspirée de la bible ! Et c’est à ce niveau-là, où nombre d’écrivains se sont cassés les dents (Stephen King et son Désolation y figurent en bonne place !), que la réussite de l’auteur est la plus absolue. Pierre Bordage a su, tout en se basant sur les écritures, éviter le piège de ses incohérences et de ses incertitudes. C’est un peu une nouvelle lecture de la bible et de l’humanité qu’il nous propose ici, sans se vouloir grandiloquent, une lecture universelle qui ne se réduit plus à une religion unique et dépositaire de la vérité, qu’il a déjà ardemment combattue dans Les Guerriers du Silence et Rohel. C’est la pierre manquante de son univers, à l’aboutissement grandiose, alors que les fins de roman, jusqu’à présent, ne semblaient pas être son fort.
Seule mais importante critique, dans sa première moitié surtout, Les Derniers Hommes se résume trop aux relations liant les personnages. L’auteur s’y appesantit lourdement, négligeant rythme général du feuilleton et description de l’univers abordé, au début bien trop floue. S’il s’agit de décrire des relations particulières entre deux personnages, nul besoin d’un univers aussi sophistiqué, ou même de SF ! On me répondra qu’il s’agit d’une intrigue secondaire : bien sûr, mais elle empiète trop à mon goût sur l’intrigue principale, assez longue à se lancer.
Finalement, ce feuilleton aurait peut-être gagné à être moins rédigé dans l’urgence due à ce type de publication, avec davantage de recul de l’auteur vis-à-vis de son propre travail. Bordage est très engagé dans ses propos ; si cela constitue souvent un fort atout, cela représente aussi un défaut quand on ne sait pas suffisament se maîtriser. Les Derniers Hommes forme un excellent roman, mais il aurait pu être encore plus réussi. Là réside le vrai reproche à l’auteur.

Note :
4/5