Salut,

Je sors de plus en plus du thème initial de ce site, mais qu’importe, à la fréquence où je le mets à jour je peux bien l’utiliser comme un blog !

Donc vendredi soir passait pour la première fois, sur la chaîne Nolife TV, le film de la websérie « Noob » (également disponible sur le net depuis cette date).
Pour ceux qui ne connaissent, il s’agit d’une websérie où l’on suit une équipe de nazes (des noobs !) dans un mmorpg, l’attrait étant que l’on suit autant les personnages que leurs joueurs. La série a connu 5 saisons, disponibles sur le net (sur youtube & co, je crois que leur diffuseur attitré est plutôt wat tv), et s’est fait pas mal de fans, au point que le crowdfunding lancé pour financer le film, qui est la suite de la série, a été le record européen avec la bagatelle de 700.000€, permettant de financer une trilogie plutôt qu’un seul film.

D’une série à un film…

Dans la websérie, la première saison n’avait pas toujours de fil conducteur, et l’intérêt venait autant de l’humour que des joueurs cachés derrière les personnages. Au fil des saisons, Fabien Fournier (l’auteur) a réorienté la série pour parler davantage du contenu du mmorpg que de ses joueurs, ce qui lui a permis de diversifier la franchise avec des bd et romans (j’ai le premier, faut que je le termine !) sans embrouiller pour autant le fil conducteur de la série.
J’avais regretté que l’univers prenne le pas sur les personnages et surtout sur les joueurs IRL cachés derrière. Malgré cela, la cinquième saison fut une franche réussite. Le jeu répartit les joueurs en 3 factions, et la 5ème saison met en scène l’affrontement entre 3 joueurs, le meilleur de chaque faction. Si le background du mmorpg reste très présent, dès le départ les ressorts de l’intrigue sont posés, et les choix et vies des joueurs IRL restent d’un intérêt prépondérant. C’est ce qui fait l’un des principaux atouts de la websérie dans son ensemble : cette dualité entre le personnage évoluant dans un monde virtuel, et un humain, bien réel ; tout comme sa personnalité et sa vie influent sur son personnage, les événements dans le jeu vont aussi interférer, en bien ou en mal, avec sa vie réelle.

Bon, à partir d’ici, je vais considérer que si vous me lisez, c’est que vous avez vu la série ET le film. Si vous ne connaissez pas la série, allez la voir, c’est gratuit et c’est l’éclate ! Pour le film, ben sans avoir vu la série, n’y pensez même pas…

Et donc en film, ça marche ou pas ?

Le film s’ouvre sur une scène IRL avec Kevin Lepape (le joueur de sparadrap). La scène est fun, absurde, hélas, ce sera quasiment la seule scène IRL, et elle n’a strictement aucun impact sur la suite du récit.
Pour résumer, pendant l’essentiel du long-métrage, on va suivre des joueurs aux quatre coins d’Olydri, dont les actions sont toutes liées à une même série d’events en jeu, et dont on va découvrir progressivement les implications.
On a donc une multitude de personnages, une multitude de joueurs, chacun avec sa personnalité, ses intérêts… C’est ce qui fait le sel de la série, et ici, on se rend hélas vite compte que ça ne marche plus du tout.

Pourquoi ça marche dans la série, et pas dans le film ?

Alors passons sur les aspects techniques, car ce n’est pas là que le bât blesse. Pourtant, avec le petit budget (le tiers des 700K euros) du film, ça aurait été aisément pardonnable. L’habillage graphique et les effets spéciaux passent bien, l’habillage sonore est plutôt bon avec d’excellentes musiques, mais on y reviendra. Les costumes sont davantage travaillés que pour la série, et permettent aux acteurs de mieux s’intégrer dans les décors, absolument splendides et qui sont l’une des grandes réussites de ce film. On a vraiment l’impression d’évoluer dans des paysages et des bâtiments majestueux, comme on s’attend à en rencontrer dans un vrai jeu vidéo qui n’a pas besoin, lui, de décors réels !
Le vrai problème se situe clairement dans la narration. Il faut attendre une bonne heure pour saisir vraiment les enjeux du récit. Et en abandonnant presque entièrement l’aspect IRL, Fabien Fournier perd ce qui fait la force de sa série.

Détaillons un peu. Le personnage de Gaïa se lance dans de grandes manoeuvres pour faire du fric. C’est bien, mais c’est déjà ce qu’elle faisait dans les 5 saisons précédentes donc c’est lassant, et on n’apprend qu’à la dernière minute qu’il y avait un autre objectif derrière. De plus, on ne saura rien du joueur IRL, de ses motivations, sa personnalité. Ca aurait peut-être été cliché de montrer la joueuse peinant à payer ses factures alors qu’elle amasse une fortune inimaginable en jeu, mais ça aurait donné une certaine profondeur au personnage – profondeur qu’il n’a pas. Même quand elle révèle avoir fait tout cela pour prendre la tête de la faction, ça ne marche pas : on s’en fout car on ne sait absolument pas ce qu’elle va en faire. A-t-elle seulement un objectif autre que le pouvoir ?

Le personnage d’Omega Zell était sans doute celui dont l’aspect IRL était le plus intéressant. Dans un passage bref et marquant, vers la fin de la série, il s’étonnait qu’un autre joueur de haut niveau veuille « s’amuser » dans un mmorpg. Cela aurait mérité d’y revenir. Il travaillait à Feminine TV, on le retrouve à commenter un match de tennis : que s’est-il passé ? On n’en saura rien. On se rappelle l’avoir vu prendre un congés maladie pour pouvoir jouer, comment cela a-t-il tourné ? On n’en saura rien. Le joueur IRL paraît fatigué, on sent qu’il passe tout son temps libre, et même plus, en jeu, sa vie n’est-elle pas en train de tourner au désastre ? On n’en saura rien. Or son personnage évolue : là où ses préjugés et sa misogynie représentaient son côté « noob » et lui apportaient un ressort comique, on le voit maintenant incapable de jouer son avatar correctement, ne suivant rien de ce qui se passe. Est-ce une conséquence de sa vie irl ? Comment réagit sa guilde, qu’on avait vu extrêmement exigeante ? On a plus l’impression que c’est utilisé pour rajouter un ressort comique, qui n’était pas forcément nécessaire. C’est d’autant plus dommage que l’acteur, Julien Guellerin, continue de progresser et me semble désormais le meilleur parmi les interprètes principaux.

Sparadrap, le prêtre noob ? On lui fait surjouer le côté geignard du personnage, il ne fait plus rien de « noob » alors que c’était le principal intérêt de son rôle, et il n’a rien d’intéressant à proposer alors que la scène inaugurale, où il gagne un tournoi de tennis espoir, permettait de mettre en place de gros ressorts scénaristiques. Son adversaire en tennis IRL aurait pu se retrouver en jeu et l’y écraser, donnant envie au joueur de s’améliorer, en jeu, et mettant en conflit ses intérêts IRL (mener à bien une carrière sportive professionnelle) et in game (devenir un bon joueur et battre son rival !). Il y avait d’autres voies possibles : on pouvait jouer sur sa relation avec son frère, ou le faire intervenir IRL plutôt qu’en jeu (pourquoi n’irait-il pas retrouver son ami Artheon IRL, puisqu’il ne peut plus le retrouver en jeu ?).
Mais là, il n’y a aucune direction : son avatar ne sert strictement à rien, le personnage IRL ne sert à rien non plus, et cela alors qu’il était le personnage central des premières saisons ! Il est d’ailleurs étonnant que Frédéric Zolfanelli, son interprète, joue aussi mal dans le film, alors qu’il était particulièrement bon dans les premières saisons.

Les autres personnages principaux du film sont Tenshirock le hackeur et son fils, le Maître de jeu Judge Dead. Ils ont gagné en importance, et leur scène initiale les montre commençant une thérapie familiale pour améliorer leurs relations père-fils en les faisant jouer de nouveaux personnages en jeu, devant collaborer sur un pied d’égalité pour avancer, sans autre préoccupation.
Contrairement à tous les autres personnages, l’interaction entre leurs vies IRL et leurs vies en jeu est évidente depuis le début et mise en relief à chacune de leurs interventions, et leur principal enjeu est immédiatement posé : ils doivent juste jouer comme le feraient deux amis, et trouver une forme d’équilibre dans leur relation. Dès lors, doit-on vraiment s’étonner si leur fil d’intrigue est l’un des plus réussis, si ce n’est LE plus réussi ? Chaque réplique, chaque mimique, chaque décision, pèse sur leur relation père-fils et a donc un intérêt immédiat pour le spectateur. On regrette juste que le lien entre leur quête et les autres ne soit pas mis en exergue plus tôt.

Un problème d’ensemble dans la narration

Et c’est d’ailleurs l’un des problèmes principaux de la narration : il faut une heure complète pour que les enjeux réels du film, et de la trilogie dans son ensemble, soient posés. On apprend que l’ensemble des joueurs du mmorpg pourraient être game over, que le world boss incarné par Artheon souhaite détruire leur monde (c’est cliché, mais la scène qui l’annonce est plutôt réussie). Pourquoi ne pas avoir intercalé l’un de ces deux éléments dès le début du film, ou une fois les première quêtes lancées ? Cela aurait accru la tension dramatique et évité que la première heure ne tombe dans un faux rythme où on est bombardé d’infos, mais où l’on a pourtant la sensation que rien ne se passe. Les fans hardcore de la série ont visiblement adoré, trouvant dans cette manne d’infos des échos, voire des réponses, aux intrigues des bd et romans. Ils attendaient du background, ils en ont eu. Et pour certains fanboys, voir les personnages principaux à l’écran pendant 1h45 aurait suffi, quel que soit le contenu du film :-)

J’imagine que l’auteur ne sera pas dérangé par l’idée que son film plaise surtout aux fans ; le vrai problème, c’est qu’il avait les cartes en main pour réussir sur ce plan ET quand même réaliser un film captivant pour les néophytes, ou ceux qui, comme moi, ont juste vu la websérie. Il y a un manque de recul flagrant sur le script du film, et sur son montage. Car il était encore temps, au stade du montage, de s’apercevoir du manque de ressort dramatique, de la difficulté pour le spectateur lambda de comprendre les enjeux des différents fils d’intrigue, et de s’en prémunir en rendant les séquences moins linéaires. Il ne l’a pas fait, et si le temps a pu manquer (le délai entre le crowdfunding et la diffusion du film me paraît bien court), c’est aussi, j’insiste, un problème de manque de recul. L’auteur est bien entouré, mais ceux qui l’entourent connaissent le background, les différents récits, et apparemment, sont déjà informés de la suite de l’histoire. Eux aussi n’ont aucun recul sur le film. Fabien Fournier aurait dû avoir des avis extérieurs, de pros si possible, au stade de l’écriture et au stade du montage. Il peut croiser des youtubeurs lors de conventions : des gens comme François Theurel (le fossoyeur de films) ou Timothée Fontaine (Durendal) auraient pu lui apporter un avis objectif et pro. Je pense aussi à Karim Debbache, avec lequel il y avait eu un clash puis une sorte de réconciliation pendant la réalisation du film : voilà quelqu’un qui aurait pu apporter un regard extérieur et sans concession sur le travail de Fabien Fournier.

Quelques mots sur la technique et la mise en scène

Après sur beaucoup d’aspects, c’est du beau travail, surtout que le budget est riquiqui. Il y a visiblement un excellent travail dans la direction des acteurs : il est impossible qu’autant d’acteurs principaux et secondaires jouent aussi justes sans que le réalisateur y soit pour quelque chose. Mention spéciale à Matthieu Zecchini (Ystos), qui jouait particulièrement mal – et en était conscient – dans Noob et Warpzone Project, et figurerait plutôt, à présent, parmi les meilleurs interprètes. L’acteur a gagné en maturité et en prestance, mais ça ne fait pas tout.
Les différents « caméos » jouent très juste aussi, au point qu’on se demande s’il s’agit vraiment de caméos, ou si les interprètes n’ont pas plutôt été choisis pour leurs talents d’acteurs ; la palme revient à Bob Lennon, au rôle bref mais très convaincant.
L’aspect photographique est très réussi avec, comme je l’indiquais plus haut, un choix de décors somptueux. Par contre niveau mise en scène, c’est vraiment très statique : Fabien Fournier pose sa caméra, on tourne et ça ne bouge plus. Là aussi, je pense qu’il s’agit plutôt d’un problème de temps et d’argent. Faire des mouvements de caméra, des astuces de mise en scène, aurait pu faire exploser le temps de tournage, et donc le coût puisqu’il faut déplacer et héberger tout ce beau monde. Quelques efforts auraient tout de même été les bienvenus : si les images sont censées être celles d’un jeu vidéo, alors il est impensable qu’elles soient aussi statiques…

Néanmoins, il est étonnant de voir que la bande sonore et la mise en scène sont au diapason de l’intrigue. En soit, c’est une bonne chose, mais ça veut aussi dire que ça bouge très peu pendant plus d’une heure. Il faut attendre la dernière demi-heure, voire le dernier quart d’heure, pour voir autre chose que des plans fixes sur les personnages, alternant plan moyen et gros plans (trop fréquents, d’ailleurs). La musique est de bonne qualité, excellente même, mais elle échoue elle aussi à faire ressentir les ressorts dramatiques. Elle pose une ambiance calme, très « fantasy », mais sans tension, alors qu’elle pourrait aussi nous donner un indice sur la montée de la tension dramatique, ou sur l’importance des scènes.

Et on conclut

Au milieu de l’océan de louanges dont a été couvert le film par ses fans, j’ai bien fini par trouver une critique négative, sur senscritique.com, dont l’auteur estimait que Fabien Fournier avait fait une saison de série, et l’avait distribué comme un film. Je ne suis pas d’accord. Je pense au contraire qu’il a trop pensé la trilogie comme un seul et même film : nous venons de voir l’exposition, dont les dernières minutes sont quasiment le trailer des deux films suivants. Il est d’ailleurs probable que les suites gèrent mieux la tension, et que leur mise en scène secoue un peu plus le spectateur. Il est même possible que ces suites expliquent des points qui m’ont paru absurdes ou inutiles… Mais cela signifie alors que ce n’est pas un film de 1h45, mais le premier tiers d’un film de 5-6h, sans unité de narration !

En résumé, il y a d’excellentes choses dans ce film, des images splendides, des acteurs étonnamment bons et bien dirigés, mais l’auteur a échoué à rythmer son récit, que ce soit par la mise en scène ou dans la mise en place de la tension dramatique. Il faut aussi qu’il comprenne que l’interaction entre IRL et in game est l’un des principaux atouts de son univers, et qu’il l’intègre à ses films comme il a su le faire dans la série.
Il est de toute évidence capable de grandes choses, mais il faut pour cela qu’il se donne un peu plus de temps, et qu’il se trouve une assistance extérieure pour lui donner un recul que ni lui, ni son entourage ne peut avoir sur l’univers de « Noob ».