La crypte du pendu de Ewan Blackshore, Editions du Masque, collection  » Les maîtres du roman policier « , mars 2001.

Résumé

A Londres, en 1903, une nouvelle attraction  » La crypte du pendu  » fait fureur. Dans une station de métro désaffectée, le cadavre d’un homme fixé à une corde est exposé au public. C’est le corps d’un criminel qui vient d’être exécuté. Une sorte de bateleur qui s’est octroyé le titre de nécromancien prétend que pendant la nuit le mort reviendrait à la vie. Pris de folie sanguinaire, le ressuscité ne chercherait alors qu’à massacrer tout ce qui bouge. Ceux qui acceptent de se laisser enfermés en compagnie du pendu jusqu’au matin gagneront la somme de mille livres. Il n’y a qu’une seule condition : la récompense n’est octroyée qu’aux survivants. Ce qui n’est encore jamais arrivé car tous les concurrents qui ont tenté l’expérience ont été retrouvés égorgés au petit matin. Le peuple est persuadé que tout cela tient du prodige.

Avis

Ce roman a été écrit par Bertrand Puard sous le nom de Ewan Blackshore. Le pseudonyme se traduit par Rivage Noir, ce qui est pour le moins ironique puisque le livre est publié aux éditions du Masque, éditeur concurrent de  » Rivages Noir « .

Il s’agit d’une enquête classique basée sur la résolution d’une énigme. L’enquêteur qui est aussi le personnage principal est un jeune poète raté, obligé d’écrire dans un journal à sensations pour survivre. Ted Scribble est très naïf, influençable, sans aucun talent de détective, mais arrivera à résoudre l’énigme par hasard.

L’auteur emploie constamment l’ironie dans son récit et fait intervenir quelques personnages de Conan Doyle dont le plus célèbre : Sherlock Holmes en personne. Le fameux héros y apparaît comme constamment drogué, assoupi et totalement incapable du moindre effort intellectuel. C’est Watson qui a le beau rôle. Tout cela est amusant et rappelle Maurice Leblanc qui avait déjà fait intervenir le fin limier Holmes dans Arsène Lupin contre Herlock Sholmès.

La crypte du pendu a fait l’objet d’un petit scandale avant même sa parution. Un fan de l’écrivain Serge Brussolo avait réussi à se procurer en service de presse le livre de Blackshore. En lisant le quatrième de couverture et surtout la dédicace qui était visiblement adressée à Serge Brussolo, il émit l’hypothèse sur un forum de discussion que le livre pourrait être de Brussolo lui-même. Selon les renseignements consignés en première page, l’auteur Ewan Blackshore est anglais et vit à Londres, mais curieusement aucun nom de traducteur n’apparaît sur la page de garde. cela renforça l’aficionado dans sa conviction que le véritable auteur n’était certainement pas Blackshore. A l’époque, le bruit courait que Serge Brussolo pouvait à nouveau utiliser le jeu des pseudonymes pour publier une série de romans. Il n’en aurait pas été à son coup d’essai puisque par quatre fois déjà il l’avait fait. Certains de ses fans se souvenaient de la difficulté qu’ils avaient eue de se procurer ses livres. Lorsqu’ils apprirent que Serge Brussolo avait publié incognito, c’était le plus souvent très longtemps après la parution des œuvres en question. Détecter les éventuels noms d’emprunt de leur auteur favori était donc tout à fait légitime. Ici l’éventualité était d’autant plus probable que Brussolo dirigeait un département de littérature aux éditions du Masque, ce qui lui aurait facilité la tâche. D’autres fans se sont alors précipités sur le livre en question pour affirmer haut et fort que pour eux, cela ne faisait aucun doute, le roman était bien de Serge Brussolo. Il a fallu que ce dernier intervienne personnellement sur le forum pour démentir l’hypothèse en question et annoncer le véritable auteur du livre : Bertrand Puard.

Maintenant que le scandale est passé, je me demande comment des lecteurs de Brussolo ont pu penser que La crypte du pendu était l’un de ses livres. La différence de talent entre les deux auteurs est telle que cela ne portait normalement pas à confusion. Certes, l’idée d’un pendu assassin aurait pu être exploitée par Brussolo, mais l’idée ne fait pas l’écriture.

Une chose est d’affirmer la différence de talent entre deux écrivains, une autre est de la démontrer ; pour ce faire rien ne vaut un petit exercice de comparaison. Prenons deux extraits : l’un provient de la La crypte du pendu (p. 17-18), l’autre est tiré d’un livre de Serge Brussolo intitulé Derelict, (p.48), Editions Gérard de Villiers, mars 1993. Le livre a été republié depuis sous le titre de Avis de tempête. Les deux passages recopiés ci-dessous présentent une situation semblable : un jeune écrivain se voit administrer une leçon d’écriture par un rédacteur en chef dans le livre de Blackshore, par un éditeur dans le livre de Brussolo.

Voici comment cela se passe chez Blackshore, le jeune Ted Scribble propose ses écrits à un rédacteur de journal sensationnaliste :

 » Julian Brackwell, rédacteur en chef du quotidien The shore, lut les dernières phrases de la feuille qu’il tenait à la main, soupira longuement et la jeta sur son bureau.
- Je ne sais pas si vous me payez ma tête, Scribble, commença-t-il, mais j’en viens à l’espérer… Vous ne devez pas bien vous rendre compte de ce que vous écrivez…
Le rédacteur en chef fit une grimace.
- Comprenez une bonne fois pour toutes que nos lecteurs se fichent de vos histoires de mythologie !
Brackwell déplia le journal et, dans un nouveau soupir, le montra à son interlocuteur :
-  » Le nœud gordien  » ! déclama-t-il. En voilà un beau titre qui incite à lire la suite ! Bon Dieu, Scribble ! Si vous voulez écrire sur Zeus et Alexandre, trouvez autre chose que cette banale histoire de nœud à trancher d’un coup d’épée ! Faites forniquer Alexandre et Minerve et puis faites venir Zeus pour lui trancher la tête !  »

Voilà comment une scène semblable est traitée chez Brussolo : un jeune auteur, Oswald Caine, se présente chez un éditeur, Bumper, adepte de la musculation et ancien du Vietnam à qui il a fait lire des haïkus de son cru :

 » – J’ai une stratégie pour toi, avait lâché Bumper. Car Bumper n’avait jamais d’idée. Par contre il avait des stratégies, des offensives, des contre-attaques.
- Tu débutes, avait-il expliqué. T’es rien du tout, une goutte de pisse dans la grande chiotte de l’édition. Faut que tu te fasses la main. Et puis la poésie c’est pour les fiottes. Je suppose que tu n’as pas envie de passer d’emblée pour un défoncé de la rondelle, hein ? Le premier bouquin c’est une sorte de patrouille de reconnaissance, un lurp comme on disait au Nam. Très souvent les critiques tirent à vue, et on n’en revient pas. Je suppose que t’as pas envie de te faire pilonner à ta première sortie ? Tu veux vendre, hein ?
Caine ne savait déjà plus trop ce qu’il voulait. Il subissait l’envoûtement de ce drôle de bonhomme au visage buriné, aux cheveux carotte.  »

On remarque tout de suite la différence de densité entre les deux textes. Brussolo a recours au style indirect dès la deuxième phrase :  » Car Bumper n’avait jamais d’idée. Par contre il avait des stratégies, des offensives, des contre-attaques.  » Ce n’est pas le cas chez Blackshore qui d’un bout à l’autre de la scène présente le même ton.

Le vocabulaire aussi est tout à fait différent. Brussolo rend toute la dimension du personnage de l’ancien du Viêt-nam en alimentant son discours de termes guerriers. Chez Blackshore, le rédacteur en chef d’un journaliste sensationnaliste paraît bien palot à côté. Ses mots semblent tout droit sortis d’une scène de théâtre de boulevard. La situation ne vit pas, elle est figée dans la caricature du maître qui s’adresse à l’élève. Il n’y a là rien qui étonne, rien qui ne soit compassé et déjà vu. Chez Brussolo, le lecteur est emporté, surpris, accroché, il ne peut plus lâcher le livre. Chez Blackshore, la prose ne coule pas, elle est heurtée, la scène sent la composition d’école.

Dès les premières pages de la crypte du pendu, il n’était pas possible d’attribuer ce roman à Brussolo. Un des moyens infaillibles pour en être sûr est de traquer les répétitions, le texte de Blackshore en est truffé. Si l’on fait le même exercice avec un roman de Brussolo, c’est beaucoup plus difficile d’en trouver. A la page 15 par exemple de la crypte du pendu, en l’espace de quatre paragraphes, on détecte trois fois le mot  » semblait  » :  » Des signes étranges semblaient être gravés dessus  » ;  » Plus loin, une fontaine à la tête de lion semblait être tarie  » ;  » La station semblait être abandonnée « . Ce genre de répétitions n’aurait pas pu se présenter chez Brussolo qui les élimine systématiquement avant de soumettre son texte à l’appréciation du public.

Il y a enfin quelques naïvetés, des réflexions qui tombent à plat et qui sont impossibles dans un texte de Brussolo. Voici un exemple de comique involontaire rencontré chez Blackshore (p. 143) :  » Cela avait beau être dans une sacristie, il n’en demeurait pas moins qu’ils étaient dans l’enceinte d’un lieu saint « . Effectivement puisque une sacristie est un endroit saint ! N’est-il pas tout aussi vrai que l’eau mouille par exemple ? En matière de  » réflexions  » qui tombent à plat, le lecteur en trouvera un certain nombre, celle que je préfère est la suivante (p. 146) :  » Lui qui se voyait déjà vivre avec la jeune fille… Mon Dieu… Il avait encore bien à apprendre des femmes…  »

Non, il n’était pas possible d’octroyer la paternité du livre à Brussolo. Ceci dit, la crypte du pendu se parcoure sans ennui comme une gentille rédaction. Malheureusement pour l’auteur, il est trop facile de résoudre l’énigme lorsque l’on sait avec quelle insistance un petit garçon est décrit dans les premières pages. Plus loin, la scène du pendu avec son ventre artificiellement gonflé (p. 57) ne laisse alors plus aucun doute au lecteur chevronné de littérature policière.

Le style de Brussolo est concentré, précis, on ne sent pas l’auteur derrière chaque ligne. L’histoire est là vivante. C’est un maître du roman. Blackshore, lui, écrit tambour battant, sans contrôler son flux qui s’abat de temps en temps en lieux communs. La construction du roman est classique et trop facile pour surprendre. Il veut tout donner et verse dans la caricature. C’est sympathique, ironique, plein d’énergie mal contrôlée. Dans un livre de Brussolo c’est tout autre chose, l’auteur dont on connaît les qualités narratives exceptionnelles étonne à chaque page et le lecteur y sera pris comme un clou par une tenaille. Il est un véritable titan de l’écriture populaire, l’un des auteurs marquants qui resteront à l’égal d’un Dumas ou d’un Leroux. Quant à Blackshore, il sera vite oublié.

Note :
1/5