Sac d’Os, de Stephen King

Toutefois, si on se limite Ă  son premier tiers, il est vrai que Sac d’Os inflige une sacrĂ©e claque, Ă©quivalente Ă  celle qu’on prenait Ă  la lecture de Magie et Cristal (tout autant « littĂ©rature gĂ©nĂ©rale » que le prĂ©sent ouvrage, mais qui n’a manifestement jamais eu la chance d’ĂŞtre lu par un critique du Fig’). Le style de l’auteur atteint des sommets jamais atteints, ou presque, et n’a rien perdu Ă  la traduction. Les Ă©crivains soutenant le comparaison avec ce morceau d’anthologie (qui se casse la gueule dans les deux tiers suivants) se comptent sur les doigts d’une main, et encore : je ne vois que Serge Brussolo et Pierre Pelot. A l’extrĂŞme rigueur Matheson et Pagel (le premier Ă©tant l’inspirateur de Stephen King, le second s’en inspirant…).

Mais poursuivons notre exceptionnellement longue chronique. Donc la gamine a une gamine et est pauvre – et veuve, elle aussi. Mais voilĂ , il y a un grnad-mĂ©chant dans cette histoire : le beau-père, donc le grand-père de la fillette ! Il a plein de sous-sous, encore plus plein de sous-sous que le hĂ©ros !! Et il est mĂ©chant !!! Et mĂŞme, très très mĂ©chant !!!! Il veut enlever la fillette Ă  sa mère par tous les moyens possibles, Ă  l’aide de mĂ©chants-cons-tenus par le fric-acolytes sous-fifres Ă  deux balles tout droit sortis d’un tĂ©lĂ©film amerloque bas de gamme, le grand-mĂ©chant loup va te dĂ©vorer, rayer les mentions inutiles.

Le passage Ă  sa partie « thriller pĂ©nal » permet Ă  Sac d’Os de passer de « pas mal » Ă  « grotesque ». Morceau choisi :

« Vous connaissez la dame Ă  la balance ? Celle qui trĂ´ne au fronton de la plupart des palais de justice ? (…) Collez-lui des menottes aux poignets et scotchez-lui la bouche pour complĂ©ter le bandeau qu’elle a sur les yeux, violez-la et roulez-la dans la boue. (…) » (p. 200)

Oh ! Que voilĂ  des propos engagĂ©s, Mr. King ! Pas trop reçu de menaces de mort de la part des grands-mĂ©chants-qui-profitent-du-système-de-justice-inĂ©quitable, j’espère ? Finie, la critique en sous-marin de la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine, l’auteur a dĂ©cidĂ© d’assumer enfin sa nationalitĂ©. Il donne dans le prĂ©visible, le bon sentiment dĂ©goulinant. L’ensemble n’arrive pas une seonde Ă  ĂŞtr crĂ©dible. Le thriller pĂ©nal Ă  la King ressemble comme un frère Ă  un mauvais tĂ©lĂ©film amĂ©ricain.

Pour ĂŞtre tout-Ă -fait honnĂŞte, la critique sociale exposĂ©e dans Sac d’Os – de la justice, d’abord, puis pour la Ă©nième fois des petites villes amĂ©ricaines – n’est pas franchement mauvaise. Mais elle ressemble Ă  cette espèce de critique rĂ©siduelle, ou structurelle, Ă  l’amĂ©ricaine : on dit systĂ©matiquement un peu de mal de la sociĂ©tĂ© ; pas trop peu pour que ça se remarque, pas trop pour ne pas faire de vagues. Mais au fond, on s’en fout. On a connu le King plus percutant.

Objectivement, on s’ennuie ferme. Ce morceau de Sac d’Os est un ratage, dont on se demande encore d’oĂą il dĂ©barque.

La dernière partie est, of course, de la terreur Ă  la Stephen King. Tellement « Ă  la Stephen King » qu’on a l’impression de lire une synthèse de ses bouquins prĂ©cĂ©dents (Les Tommyknockers, Ca, etc.). Les petites villes hantĂ©es, ça va un moment ; ou plutĂ´t, ça va quand il y a une histoire avec. Ici, on s’enlise dans un fantastique lourd, ridicule, sans intĂ©rĂŞt et surtout dĂ©pourvu de la plus petite parcelle d’originalitĂ©, dont se dĂ©gagent avec peine quelques bons rebondissements. Un naufrage.

Contrairement Ă  ce qui a Ă©tĂ© martelĂ©, Sac d’Os n’est en aucun cas un tournant dasn la carrière de l’auteur. Les Ă©lĂ©ments de littĂ©rature gĂ©nĂ©rale (les Bons Ă©lĂ©ments) avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© intĂ©grĂ©s, avec plus de talent, Ă  Magie et Cristal. Qaunt aux autres nouveautĂ©s, elles sont si mĂ©diocres qu’on prie pour qu’elles n’appartiennent pas aux Ă©volutions futures de l’Ă©criture Kingienne (ayant lu Hearts in Atlantis, je dois hĂ©las dire que cela a Ă©tĂ© le cas). Les critiques gĂ©nĂ©ralistes, qui ont sans doute mal lu le livre – ce ne serait pas la première fois – apprendront par ailleurs qu’il ne s’agit pas du « moins sanguinolent des livres de l’auteur », un argument qui semblait leur plaire, puisque la palme revient très nettement Ă  Chantier – qui, lui, tranchait radicalement avec le reste de la production de Stephen King. Il y a près de quinze ans ! Comme le disait un grand intellectuel français : quand on ne sait pas, on ferme sa gueule.

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