Sac d’Os, de Stephen King

Stephen King a toujours été rejeté par les critiques « généralistes », à l’image de la SF toute entière. On le sait. Oeuvres scabreuses pour adolescents boutonneux, romans de gare, on a tout entendu. Je me souviens d’un article paru dans la même période, dans lequel une éminence de la littérature, commentant les chiffres (catastrophiques mais pas trop) de la lecture chez les lycéens, déplorait que parmi les auteurs favoris des lycéens (il s’attendait à quoi ? Que les ados de 16 ans se passionnent pour Balzac ?) , se retrouvent Tolkien, Coelho, et bien sûr… le King.

Alors, quand le King donne à l’un de ses romans des dehors de littérature générale, les mêmes critiques – qui sentent bien qu’ils ont fauté en ignorant les quarante-cinq premiers best-sellers de l’auteur – trouvent une occasion inespérée de se rattraper ! En somme, littérature générale = bon roman ; terreur = mauvais roman. C’est pas compliqué à retenir.

S’ensuit l’un des plus grands déferlements d’imbécilité de l’histoire de la critique littéraire, magazines généralistes tels le Figaro magazine ou Le Point rivalisant d’éloges pour qualifier le dernier livre du « maître ». Trop heureux de voir un roman de SF (au sens large du terme) remplir les colonnes de journaux prestigieux, pourtant accoutumés à une cécité étonnante face à des chefs-d’oeuvre de la littérature tels Hypérion (j’en passe, et des meilleurs !), le milieu SF s’empresse de couronner l’opération (voir Bifrost N°15, 16… « 1999, l’année du Roi ? »).

Qui oserait aller à contre-courant ? Les auteurs de SF français crèvent la dalle, sont ignorés du grand public, on accorde plus d’importance à Christine Angot qu’à des visionnaires comme Serge Lehman ou Pierre Bordage, la SF continue, de nos jours, à être traitée en sous-culture. Le problème est que ce Sac d’Os fait une bien misérable figure de proue pour le genre. Livre composite, il s’ouvre sur de la littérature générale, suit en thriller pénal, s’achève dans la terreur. Avec en filigrane et en guise de bonustrack une lovestory.

« (…)si un tiers du roman seulement est réussi, pourquoi King a-t-il écrit les deux autres ? » excellente question de monsieur Loevenbruck, de SF-Mag (Sf-Mag N°5, 2ème saison). La partie réussie étant la première.

Déjà, le héros est un écrivain. Ca commence mal. Il n’y avait pas assez d’écrivains dans les livres de Stephen King : il en manquait un qui ressemble vraiment à l’auteur. Ambiance autobiographique. Début de bouquin : sa femme meurt. S’ensuit deux cent pages de pleurnicherie magnifiquement écrites. Ca s’appelle de la littérature générale : on se répète lourdement sur les états d’âme d’un personnage en enjolivant le style. Pas grave : le personnage hantera le reste du pavé (600 pages, tout de même) sous la forme d’un fantôme à la fois navrant et rigolo. Ses messages sybillins du genre « reste », « aide la » font très fantastique de bazar. Mais ce qui m’a vraiment convaincu, c’est son mode d’expression : déplacer les lettres magnétiques sur une porte de frigo. On dirait du Pratchett. A quand les messages subliminaux à coups de nouilles en forme de lettres ? Enfin, on a les poltergeists qu’on mérite…

La Lovestory vaut également le coup d’oeil, dans la mesure où Sac d’Os apparaît comme une oeuvre à vocation autobiographique. L’écrivain qudragénaire-héros, Mike Noonan, est love d’une gamine d’une vingtaine d’année, et aussi, d’une autre manière de sa fille de 4 ans. Tabitha King a du souci à se faire : King est pris par le démon de midi, et comme tout friqué de cinquante balais qui se respecte, il va bientôt se mettre à courir après les minettes de vingt ans. On lui souhaite beaucoup de bonheur.

Noonan est riche, veuf, quarante bougies ; elle est jeune, pauvre : pourront-ils s’aimer quand même ? Vous avez aimé ce titre ? Des centaines d’autres vous attendent dans la collection Harlequin. King prépare sa reconversion, juste au cas où la terreur commencerait à ne plus se vendre (c’est vrai qu’avec son roman précédent, Rose Madder, on aurait pu craindre une sacrée chute des ventes, vu que ce roman était assez nul pour tuer le genre tout entier).

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